Un élève souffrant de troubles d’apprentissage vient de remporter une importante victoire devant la Cour suprême du Canada dans une décision qui aura vraisemblablement des répercussions dans toutes les provinces canadiennes. Dans un jugement unanime rendu vendredi, le plus haut tribunal du pays a déterminé que l’enfant avait été victime de discrimination puisque son école ne lui avait pas fourni des services d’aide suffisants.
« Des services d’éducation spécialisée adéquats ne sont donc pas un luxe dont la société peut se passer », peut-on lire dans le jugement. Et les conseils scolaires ne pourront pas forcément invoquer leurs problèmes budgétaires pour éviter de fournir les services nécessaires. Bref, une décision qui pourrait être lourde de conséquences financières pour eux.
Les parents de Jeffrey, qui habitaient en Colombie-Britannique, réclamaient de l’aide en milieu scolaire pour leur fils qui souffrait de dyslexie grave et peinait à lire. Jeffrey a reçu un peu de soutien, mais il avait besoin de beaucoup plus. La discrimination a donc été établie parce que les services mis en place par son école n’étaient pas suffisamment intensifs compte tenu de la gravité de ses troubles d’apprentissage.
La Cour suprême ordonne ainsi au district scolaire de rembourser aux parents le coût des écoles privées vers laquelle ils se sont tournés pour éviter que leur enfant ne subisse des retards scolaires plus importants. Ils recevront aussi un chèque pour les dédommager de la moitié des frais de transport engendrés pour que leur fils se rende à ces écoles situées plus loin de chez lui. Une compensation bienvenue, une dizaine d’années plus tard, pour ces parents qui avaient dû réhypothéquer leur maison pour offrir l’école privée à leur fils. Et Jeffrey se voit aussi accorder 10 000 $ pour l’atteinte subie à sa dignité et à son estime de soi.
Lorsqu’il est entré à la maternelle au début des années 1990, Jeffrey a reçu du soutien pour favoriser son développement. Mais lorsqu’il a été jugé qu’il avait besoin de services spécialisés intensifs, le district scolaire, qui traversait des difficultés financières importantes, a fermé son centre de diagnostic avant que Jeffrey ne puisse en profiter. Même si le district a plaidé qu’il ne pouvait offrir les mêmes services qu’avant parce qu’il devait faire face à d’importants déficits budgétaires, cet argument a été rejeté dans les circonstances.
Le district scolaire n’avait pas tenté de trouver de solutions de rechange ni d’évaluer les coûts d’autres mesures possibles avant de sabrer dans ses services, blâme la Cour suprême. Bref, le district avait des problèmes financiers, mais les « compressions ont visé de manière disproportionnée les programmes destinés aux élèves ayant des besoins spéciaux », selon la juge Rosalie Abella qui a rendu les motifs de la décision.
Celle-ci note que le district scolaire avait par contre choisi de garder ouvert un centre de plein air où les élèves en apprenaient plus sur l’environnement et la collectivité. Les coûts des deux services étaient les mêmes, souligne la juge. « Des services d’éducation spécialisée adéquats ne sont donc pas un luxe dont la société peut se passer. Dans le cas des personnes atteintes de troubles d’apprentissage sévères, de tels services servent de rampe permettant de concrétiser l’engagement pris dans la loi envers tous les enfants en Colombie-Britannique, à savoir l’accès à l’éducation », écrit la juge Abella.
Même si la décision en été rendue en vertu d’une loi provinciale, soit le Human Rights Code de la Colombie-Britannique, les articles de cette loi concernant la discrimination sont très similaires à ceux des lois des autres provinces. La décision de la Cour suprême rendue vendredi sera sans aucun doute invoquée par des parents un peu partout au Canada pour réclamer des services appropriés en milieu scolaire pour leurs enfants.
La Cour suprême a toutefois rejeté la plainte de discrimination systémique envers les élèves avec des troubles d’apprentissage. Une telle discrimination découlerait des politiques générales du district scolaire et de la province, notamment en ce qui a trait au financement de l’éducation. La Cour a tranché qu’elle n’avait pas à rendre des ordonnances allant au-delà du cas de Jeffrey. Mais elle a toutefois écrit cet avertissement : « Il va sans dire que, si le [district scolaire] veut éviter d’être l’objet de demandes semblables à celle présentée par Jeffrey, il devra s’assurer de fournir un éventail de services destinés aux élèves ayant des besoins spéciaux conformément à la School Act et à ses politiques connexes ».
Source : article paru dans La Presse de Montréal le 9 novembre 2012.
Texte du jugement de la Cour suprême