Le 20 novembre 2015, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l’affaire Caron c. Alberta. Cette affaire visait non seulement les lois albertaines, mais aussi celles de la Saskatchewan et des Territoires-du-Nord-Ouest, qui ont tous été vendus en même temps au Dominion du Canada. La décision touche donc les quelque 100 000 Francophones de ces trois territoires de l’Ouest canadien.
Le sort des droits des francophones de l’Ouest du pays a été mené jusqu’en Cour suprême par deux hommes de l’Alberta, Gilles Caron et Pierre Boutet, qui contestaient depuis neuf ans d’avoir écopé de contraventions rédigées en anglais seulement. Ils plaidaient que des décrets centenaires conclus lors de la vente des provinces de l’Ouest au Canada garantissaient que les « droits acquis » des habitants seraient respectés – y compris leurs droits linguistiques.
Pour la majorité, un bilinguisme non « expressément mentionné »
Or, six des neuf juges du plus haut tribunal du pays rétorquent que le bilinguisme législatif n’est pas « expressément […] mentionné » dans les lois centenaires évoquées par les appelants, alors qu’il figure dans d’autres lois constitutionnelles de la même époque. Ils concluent qu’« il est inconcevable qu’un droit si important ait été conféré – s’il l’a effectivement été – sans recours à des termes explicites ». Qui plus est, « dans l’histoire constitutionnelle du Canada, jamais les mots “droits acquis” ou “droits légaux” n’ont servi à conférer des droits linguistiques », écrivent-ils.
La majorité reconnaît que la dualité linguistique et les droits linguistiques « sont profondément enracinés dans notre histoire et reflètent les principes fondamentaux que sont le constitutionnalisme et la protection des minorités. […] Toutefois, la Cour doit également garder à l’esprit que le fédéralisme, un autre principe constitutionnel, doit reconnaître la large mesure d’“autonomie dont les gouvernements provinciaux disposent pour assurer le développement de leur société dans leurs propres sphères de compétence” ». (Ironiquement, cet argument est tiré du Renvoi relatif à la sécession du Québec de 1998.)
Enfin, en 1988, la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Mercure, avait conclu à l’inexistence d’un droit constitutionnel au bilinguisme législatif en Saskatchewan, et la position de l’Alberta sur le plan constitutionnel à cet égard ne peut être distinguée de celle de sa voisine. Si MM. Caron et Boutet avaient raison, la Cour aurait eu tort dans l’arrêt Mercure.
Pour la minorité, une promesse bafouée
Par ailleurs, trois juges – dont deux des trois juges québécois – arguent dans des motifs plus développés que ceux de la majorité (129 articles contre 114) qu’on ne peut se fier uniquement aux droits explicitement inscrits dans les décrets en cause. L’interprétation de la Constitution et des « droits acquis » doit tenir compte des « contextes historique, philosophique et linguistique ».
L’entente historique conclue entre le gouvernement canadien et les populations de l’Ouest « contenait une promesse de protéger le bilinguisme législatif », soutiennent les juges Richard Wagner, Suzanne Côté et Rosalie Abella. Ils se fondent sur six prémisses et trois principes d’interprétation constitutionnelle pour affirmer que « la preuve historique révèle que les droits linguistiques revêtaient une importance primordiale pour la population et qu’elle avait revendiqué et obtenu la promesse que ces droits seraient respectés ». De plus, ils soulignent que « le fait qu’une promesse constitutionnelle ait été bafouée pendant plus d’un siècle ne la fait pas disparaître. Le passage du temps n’a pas réparé cette injustice : elle perdure toujours aujourd’hui. »
Au final, une mince consolation
Cependant, même si elle a donné tort aux appelants, la Cour, compte tenu que « l’affaire soulève des questions d’intérêt public considérable », a usé de son pouvoir discrétionnaire – ce qu’elle fait rarement – pour adjuger à MM. Caron et Boutet les dépens entre parties, même s’ils n’ont pas eu gain de cause. En 2011, dans l’arrêt R. c. Caron, la Cour avait d’ailleurs confirmé la décision de première instance de rendre en faveur de M. Caron une ordonnance de provision pour frais, car il aurait été contraire à l’intérêt de la justice que le litige ne soit pas tranché de façon adéquate parce que M. Caron ne disposait pas des ressources financières nécessaires pour terminer ce qu’il avait commencé.
Pas d’obligation de bilinguisme en Alberta et en Saskatchewan, tranche la Cour suprême – Ce reportage de Radio-Canada inclut les réactions de M. Gilles Caron et de Mme Sylviane Lanthier, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadiennes
La loi de l’Alberta restera anglophone – Article de Marie Vastel dans Le Devoir
Les lois albertaines peuvent être rédigées uniquement en anglais – Article de la Presse canadienne paru dans La Presse)